LES VRAIS AVENTURISTES DE LA POLITIQUE, par François Leclerc

Billet invité.

George Osborne, le ministre des finances britannique, s’est fait une spécialité de déclarations qu’il vient de renouveler du type « nous avons encore beaucoup de décisions difficiles à prendre parce que ce pays s’est lourdement endetté » et « nous devons aller encore bien plus loin. Nous devons vraiment aller au fond des choses pour garantir une sécurité économique (sic) à la population de ce pays ». On se rappellera que quand un dirigeant politique parle de décisions difficiles, cela veut dire qu’elles vont être très impopulaires, et qu’il lui en coûte de ce point de vue.

Cette promesse tend à se généraliser, en particulier dans les pays en passe de sortir de plans de sauvetage qui les ont lessivé. Subir Lall, chef de la mission du FMI au Portugal, déclarait fin février à Lisbonne que le pays « ne pourra pas renouer avec le vieux modèle économique d’avant la crise », ajoutant devant l’essoufflement de l’équipe au pouvoir que « les efforts doivent se poursuivre quel que soit le parti au pouvoir » et appelant à un « vaste consensus politique ».

Reprise par la Troïka, la formule a en premier lieu suscité un large appel à la restructuration de la dette qui n’est pas spécialement dans les projets du fonds s’agissant du Portugal. Le premier ministre Pedro Passos Coelho et le leader de l’opposition et chef du parti socialiste, Antonio José Séguro, se devaient de réagir sans tarder, ce qui a été fait hier dimanche. Le premier proposant au second – qui a immédiatement accepté au nom de « son devoir institutionnel » – de définir ensemble une stratégie de sortie du plan de sauvetage, dans la perspective d’une « entente politique élargie ». Triste comédie ! La voie est ouverte à la mise au point d’un futur accord de gouvernement pouvant préluder à la mise en place d’un gouvernement de coalition l’année prochaine, dans la foulée des élections législatives. Exsangue est le pays, exsangue il le restera !

La perspective d’un tel gouvernement de rassemblement se dessine également en Espagne, où José Luis Rodriguez Zapatero, l’ex-premier ministre socialiste, joue les sages en multipliant les apartés favorables à la mise sur pied d’une grande coalition à l’allemande entre le Parti populaire et le PSOE, après les prochaines élections de 2015. En Espagne, il devient également urgent de trouver une solution politique de remplacement au gouvernement de droite, que la simple alternance ne peut offrir.

Comme au Portugal, c’est le parti socialiste qui a engagé la politique qui a ensuite été poursuivie. Une solution de la coalition s’impose quand chacune de ses composantes futures n’a plus à elle seule la force politique nécessaire pour gouverner le pays, tel qu’il lui est enjoint par la Commission, le FMI et la BCE (qui a ces temps-ci d’autres chats à fouetter). En application de cette formule, la Grèce a joué les précurseurs et son équation gouvernementale va devoir à nouveau être résolue en 2015, car elle a donné tout ce que l’on pouvait en escompter. Mais tout sera fait pour imposer une solution garantissant la continuité, bien que Siryza détienne une clé nettement plus difficile à manier.

Matteo Renzi, le président du conseil italien, est venu rencontrer François Hollande à Paris sur son chemin pour Berlin. Lui proposant de « changer l’Europe ensemble », il s’est inscrit dans la campagne électorale européenne, mais est tout autant venu rechercher un allié pour l’épauler dans la difficile partie dans laquelle il s’est engagé (sans le dire à voix haute), afin de se donner des marges de manœuvre financières. À entendre François Hollande qui a limité l’aventure commune au partage de la vision d’une Europe « sûre sur le plan économique », la décrivant comme « une Europe de la croissance » sans plus de considérations pratiques, il semble être reparti gros Jean comme devant et ne peut espérer grignoter que des miettes afin de maintenir l’économie italienne juste à flot. C’est d’ailleurs tout ce qui lui est demandé !

Ne pouvant mettre en cause une stratégie européenne désormais bien ancrée, l’un agit par la bande et l’autre fait le dos rond en multipliant les gages. François Hollande promet « une compétition politique » à propos de la conception de l’Europe, pour ne pas laisser « les populistes » instaurer un débat pour ou contre. Mais tel que le débat est engagé, il ne va pas mobiliser les foules. On en est à ce point que c’est le Parlement européen qui joue les trouble-fête, continuant à refuser d’avaliser un projet d’Union bancaire fruit inopérant d’un compromis politique laborieux.

L’heure est à calmer le jeu sur le terrain politique, sur le modèle de ce qui a été obtenu sur le marché obligataire, afin de s’installer dans la durée. Les dirigeants politiques des partis de gouvernement serrent les coudes là où il n’y a plus que cela à faire et courbent le dos dans tous les cas, d’autant plus incapables de formuler une alternative qu’ils ne la recherchent pas. L’objectif poursuivi est de trouver une assise politique et une onction démocratique formelle à une stratégie instaurant un cadre devenu permanent, et non plus valable le temps d’un sauvetage momentané. En dernière instance, la collaboration de toutes les forces « responsables » n’est pas de trop, mais elle contribue à accentuer encore un profond fossé avec ces vrais aventuristes qui rendent impossible de croire dans une démocratie représentative qu’ils dévoient en occupant ses instances. Tout cela au nom de la préservation des avantages acquis d’un capitalisme devenu assisté à nos frais.